Joseph Dubar, une figure Roubaisienne

Archives / Articles de journaux / Joseph Dubar : Il a même photographié (de l'intérieur) le blockhaus aux "V2" d'Eperlecques ! - Journal Nord-Eclair du 7 Septembre 1984

cliquez ici pour voir la page du journal

 

Joseph Dubar : Il a même photographié (de l'intérieur) le blockhaus aux « V2 » d'Eperlecques !

Son histoire commence comme un roman. C'en est un. La scène se passe à Bruxelles dans l'estaminet «  A l' Estrille  ». Un jeune Belge veut gagner Londres pour se mettre au service du Gouvernement belge, réfugié dans la capitale britannique.

      Tu vas prendre le train de 14h43. A Tournai, tu prendras le tram de Toufflers. Tu descendras à la Festingue , juste avent le poste frontière. Tu verra un monsieur blond. Il te reconnaîtras , car il a vu ta photo…

- Et puis ?

- Et puis, tu verras, la suite, elle viendra d'elle-même !

Arrivé à la Festingue , raconte le jeune homme, je descendis pas très rassuré. Un vieux douanier, ridé comme une pomme, une rangée de rubans de l'autre guerre sur sa poitrine, m'interpella brusquement… Il me fit entrer dans son baraquement. Un homme jeune s'avança vers moi : les cheveux paille, des yeux clairs, magnifiques… Je sens qu'il m'avait photographié…

-Je suis Jean, fit -il, et il me prit le bras ; nous partîmes par un petit chemin qui nous mena à un poste gardé par un seul douanier français ; il nous salua… nous étions en France.

Jean m'embarqua dans le tram de Roubaix, puis dans celui de Lille. Nous passâmes la nuit dans un petit hôtel près de la gare. L'hôtelier était très préoccupé car un Boche s'était fait descendre la nuit précédente sur le trottoir, devant sa porte. Dans notre chambre, je changeai d'identité. De Pierre Serneels , je devins Pierre Leroy ; me voici nanti d'une carte d'identité française… J'habite Roubaix, rue de l'Alouette !

Mot de passe : Caviar

            Combien de fois entendrai-je encore parler de Jean ? Partout ! « C'est un chic type », « Un gars merveilleux », « Les Boches donneraient cher pour avoir sa peau »…

            Ils ne l'auront pas, mais arrêtèrent sa femme Laure Hennion , son oncle Jean Lebas, et son cousin Raymond Lebas, tous les trois morts en déportation.

            Ce Jean, c'est Jean du Nord, c'est Jean de Roubaix, c'est Jean Ballois . A l'état civil, le vrai, c'est Joseph Dubar…, ancien dessinateur en tissu qui, après les Beaux-Arts , est devenu artisan ébéniste.

            Il a 41 ans. Dès le lendemain de l'effondrement, dès juillet 1940, il s'est fait résistant. D'autorité, spontanément. « Caviar » qu'il a pour mot de passe donnera le nom de son réseau. Affublé de lunettes, l'accoutrement de l'ouvrier paisible qui se rend à son travail en vélo, il circule dans Roubaix ; il a installé son Q.G. au 90, Grand-Rue. Il changera souvent d'adresse, de nom et de silhouette, avec ou sans lunette, avec ou sans moustache, sans oublier l'usage fréquent des teintures !

            La première mission qu'il s'est confiée : sauver les nombreux soldats alliés égarés dans la région, les Britanniques échappés de la souricière de Dunkerque, les prisonniers de guerre évadés, les aviateurs en détresse. Il les recueille, les héberge et les achemine vers la France non occupée.

            De vrais Belges ou de vrais Britanniques, il fait de faut ch'ti-mi , des gars du Nord qu'il baptise au guichet d'une gare, sur l'écritoire d'un bureau de poste, sur le marbre d'une table de café, au hasard d'un annuaire téléphonique, d'un bottin ou de sa fantaisie.

            D'après les services belges, plus de 700 personnes sont passées par son réseau avec une perte de 3% seulement à l'arrivée à Londres, performance si l'on songe aux deux frontières dangereuses qu'étaient la Somme, pour sortir de la zone interdite, et la ligne de démarcation pour sortir de la France occupée.

Des courriers de plus de 20 kilos

            En juillet 1941, il fut sollicité par les services belges pour l'acheminement de leur courrier jusqu'en Espagne. Il créé le réseau Ali-France. A partir d'août, chaque semaine, un courrier, groupant tous les envois des réseaux belges, partit de Bruxelles via Tournai, Roubaix et Paris pour Tours et Toulouse, ou pour Lyon, Montpellier et Perpignan. A ce service, s'ajoutera, à partir de juillet 1942, à la demande de Londres, le courrier fournit par un réseau installé à Roubaix : Zéro-France.

            De tous ces courriers, certains pesaient de 20 à 30 kilos, aucun de fut capturé par l'ennemi.

            En outre, 80% des agents envoyés par Londres, et parachutés avec leur matériel, passèrent par son réseau, ce qui représente une activité considérable.

            Comme Londres avait demandé à Joseph Dubar de se documenter sur l'ouvrage colossal, le plus important du genre en France que les Allemands édifiaient dans la forêt d'Eperlecques, pour installer leurs rampes de lancement de V1 et de V2, il trouva plus expédient de se faire embaucher dans l'une des équipes occupées à ce travail. Avec son appareil photo. Peu de temps après, l'aviation britannique transforma le site en décombres.

            En décembre 1943, il fut mandé à Londres. Il n'accepta que contraint et forcé, et seulement sur la promesse qu'on le renverrait sur le théâtre des opérations.

            Il subit un entraînement spécial et, dès son retour en mai 1944, il monta un réseau selon les meilleures règles de la sécurité et de l'efficacité. Désormais, le courrier fut acheminé directement sur Londres par la voie aérienne. Il recevait les Lysander et leur confiait les paquets.

            Il verra la Libération et finira la guerre comme lieutenant-colonel et il sera couvert de décorations alliées, belge, française, anglaise, américaine.

            « Véritable incarnation de l'âme de la Résistance à l'opposition » dit sa citation au grade d'officier de la Légion d'honneur.

            « Animé d'un désintéressement complet, d'une audace et d'un courage exceptionnels », dit un arrêté du prince-régent de Belgique.

            « Une des figures les plus marquantes de la Résistance dans le Nord de la France », dit le Président René Coty.

            Et celle-ci du ministre belge de la Justice : « Son intrépidité, sa bravoure tranquille et son habileté ont eu raison de toutes les embûches d'une Gestapo sans cesse aux aguets. Aucun des nombreux émissaires du Gouvernement belge qu'il eut la tâche périlleuse d'accueillir et de guider n'est tombé aux mains de l'ennemi ».

            S'il en est sorti vivant, ce n'est pas faute d'avoir donné de sa personne et souvent d'avoir tenté le diable. A son habileté, il fallait aussi de la chance. La manière dont il déjoua les traquenards de la Gestapo fournirait d'excellents synopsis aux metteurs en scène en panne d'imagination !

            Joseph Dubar est mort à Roubaix le 3 novembre 1962. Vers la place du Travail, dans le quartier qu'il a toujours habité, une rue perpétue son souvenir.

© Jean Piat

Journal Nord-Eclair du 7 Septembre 1984

 

RETOUR

 

Plan du site | Confidentialité | Contact | © 2005-2007