Biographie
Joseph DUBAR est né à ROUBAIX, le 30 décembre 1899, d'une famille très modeste.
Après des études primaires normales, très fort en dessin, il débute professionnellement dans la fabrication du tissu, nous sommes dans un grand centre textile. Sa carrière est rapidement stoppée à la déclaration de guerre en 1914.
Il a un goût particulier pour la chimie et l'électricité, il achète des livres, étudie ces deux matières qui lui permettent à 15 ans, seul, de fabriquer ses premiers explosifs.
Il n'a pas d'argent, il fabrique alors des lacets en achetant ou en récupérant, dans les usines fermées, de la corde à broche, qu'il teint, les munit d'embouts en fer confectionnés avec la récupération de vieilles boîtes de conserve.
Avec peu d'argent, il achète de la potasse, beaucoup de potasse, ce qui lui permet un jour de faire sauter un énorme pylône supportant toutes les liaisons téléphoniques d'un P.C. allemand, dans le quartier résidentiel du Parc Barbieux à Roubaix.
Toujours motivé par son patriotisme, et bien qu'adolescent, il arrive à injecter de l'acide, au moyen d'une seringue, par le trou de serrure d'un gros relais téléphonique réservé à l'occupant. De gros dégâts, les câbles électriques sont grillés.
Enfin, au cours de l'année 1916 ou 1917, il part à pied, une bêche sur l'épaule, des sabots aux pieds, pour ressembler à un paysan, à travers toute la Belgique vers la frontière hollandaise, avec l'intention de regagner ensuite la France non occupée, afin de pouvoir s'engager dans l'armée. Il échoue, la frontière est trop surveillée, il revient à Roubaix, toujours à pieds, ces derniers ensanglanté et en piteux état.
La paix arrive, il fait son service militaire (Classe 19) au 21 e Régiment de Dragons à Auxonne, puis à Mérignac (Bordeaux) pour terminer à Paris.
Il se marie en 1924 avec Laure HENNION, nièce de J.B. LEBAS, le ménage n'aura pas d'enfant.
Contremaître ébéniste, il s'installe à son compte, mais il y a la dure crise des années 30. Avec son épouse spécialisée en bonneterie, il ouvre un petit atelier, vers les années 1937/38, qui fonctionnera jusqu'au moment où il sera mobilisé au début de l'année 1940.
Affecté dans le Génie, il a fait sauter tous les ponts fluviaux situés à Croix et à Wasquehal, en Mai-Juin 1940, puis il se remet en civil, et aussitôt débute son activité de Résistant.
Joseph Dubar joue un rôle très important dans la Résistance et les Allemands donneraient cher pour avoir sa peau.
Joseph Dubar, c'est aussi Jean du Nord, Jean de Roubaix, Jean de Liège, Jean Ballois, c'est Simon, c'est Robert et combien d'autres pseudonymes au gré des jours, des heures et des interlocuteurs. Il porte ou non la moustache, courte ou longue, il sacrifie sa chevelure paille aux teintures.
Il cache ses yeux clairs avec des lunettes dont il varie la forme et la monture. Et ses vêtements s'accordent aux métiers portés sur ses cartes d'identités dont il possède tout un jeu.
Encerclé à Lille avec son unité, le 28 mai 1940, il refuse de se rendre, s'échappe, rejoint son domicile, troque son uniforme contre des vêtements civils et passe, sans transition, du combat militaire à la résistance clandestine. Il recueille, héberge et aide à s'évader de nombreux soldats français et britanniques. L'appel du général De Gaulle le trouve en pleine action ; il a déjà groupé autour de lui des hommes qui refusent de désespérer.
Au début de 1941, feu Jules Correntin , dit Léon, le mit en contact avec le réseau belge « Zéro », grâce à ces deux hommes, à Paul Joly et à d'autres Français de la même trempe, Lille-Roubaix-Tourcoing devinrent une plaque tournante des réseaux belges et de la résistance franco-belge. Jean du Nord en est le principal animateur. A partir de là 3000 Français, groupés autour de lui et de ses camarades belges, constitueront à travers la France, des réseaux d'évasion et de renseignement, des filières de courrier, des centres d'opérations pour le parachutage, l'enlèvement aérien des courriers et l'atterrissage clandestin des « Lizzies » (avion du type Lysander). Ces Français avaient choisi, avec une admirable amitié, de servir dans des formations belges qui, sans eux n'auraient pu se développer sur le territoire français et qui étaient indispensables à nos liaisons avec la Grande-Bretagne.
En 1941, Jean du Nord assure personnellement l'évacuation jusqu'à Marseille, de la plupart des aviateurs de l'Aéronautique militaire belge qui s'évadent de Belgique pour rejoindre la Grande-Bretagne. De juillet 1940 à juillet 1941, il inscrit à son actif personnel l'évacuation d'une centaine de soldats britanniques dont un général de brigade. Pour toute la durée de la guerre, les contrôles officiels estiment à environ sept cents le nombre d'hommes, militaires ou civils, français, belges et britanniques, convoyés vers la zone libre ou l'Espagne par le chef d'« Ali-France ». Sur ces sept cents évadés, officiellement contrôlés, 3% seulement ne sont pas arrivés à Londres. De juillet 1940 à juillet 1943, le nombre des courriers de renseignement pris en charge par Jean du Nord, est de cent quatre, ce qui représente plusieurs milliers de documents dont un bon nombre avaient une grande importance militaire. Churchill a écrit dans ses Mémoires que, durant la bataille du radar (1941), 80% des renseignements venus des services établis en territoire occupé, furent fournis par les réseaux belges. La plus grande partie de ce courrier passa par les mains de Jean du Nord, de Léon de Tourcoing et de leurs compagnons.
Dès 1941 la police allemande traque Jean, dont elle met la tête à prix à un million de francs belge (environ 25000 Euro). Elle arrête Mme Dubar, son oncle, J.-B. Lebas, député-maire de Roubaix, et le fils de celui-ci ; ils perdront la vie dans les camps de concentration. Jean du Nord défie l'ennemi et le danger par une activité prodigieuse et incessante. Il va, il vient, avec des hommes, des courriers, du matériel parachuté, de Roubaix à la Somme dont il force la ligne, de la Somme à La Haye-Descartes où il passe la deuxième ligne de démarcation. Un jour, il est à Tournai ou à Bruxelles, un autre jour, on le retrouve à Paris, à Charleville, à Chalon-sur-Saône, à Lyon ou aux Pyrénées. Il voyage en train, mais il fait aussi des raids considérables à vélo, lorsqu'il lui faut récupérer du matériel parachuté.
C'est lui qui « réceptionne » presque tous les « Jean de la Lune », les agents belges et leur matériel parachutés en France. En juillet 1943, il totalise 21 missions de cette sorte : pas un homme ni un poste émetteur n'a été perdu. Avec ses camarades belges, chefs de réseaux en France et sous le commandement de « Walter », il participe à l'évacuation de condamnés à mort évadés, d'agents « brûlés » et de personnalités politiques belges qui gagnent le monde libre.
Autre travail qui fut demandé à Joseph Dubar par Londres : détecter l'emplacement des rampes de lancement ennemies, notamment le blockhaus d' Eperlecques qui devait lancer la terrible arme que préparaient les ingénieurs d'Hitler, le V2 appelé à détruire Londres. Joseph Dubar demanda à son ami d'enfance René Fonson de se faire embaucher sur le chantier, Joseph ne pouvant pas aller lui-même sa tête étant mise à prix. Sa mission : regarder, écouter, rapporter des photos du blockhaus. Ce qu'il fit en juin, juillet et août 1943. Les deux résistants envoyèrent les clichés à Londres, et le 27 août 1943, le bunker était bombardé et en grande partie détruit . Les deux amis d'enfance ont-ils fait basculer le sort de la guerre ?
En décembre 1943, à la demande pressante du commandement belge, il accepte de partir par avion en Grande-Bretagne, mais il n'y consent qu'à la condition d'être renvoyé peu après « sur le terrain ». Durant quatre mois, il subit un entraînement spécial pour une nouvelle mission, des plus importantes. Un mois avant le débarquement de Normandie, il reprend contact avec la terre de France, où ses camarades ont subi une série de coups très durs. Il monte en Touraine un nouveau service de « mail pick-up » (enlèvement aérien du courrier) et de réception des parachutages, un centre d'antennes et des liaisons avec Paris, le Nord et la Belgique. Il coordonne l'évacuation des courriers et termine ses exploits en participant à la libération de sa ville natale. Il y est remonté juste à temps en deux étapes à vélo : Tours-Paris et Paris-Roubaix , avec deux émetteurs sur le porte-bagages…
Joseph Dubar finira la guerre au grade de lieutenant-colonel des Forces Françaises Combattantes, quant à la Belgique, elle le portera au grade de Major ARA. Il reçut entre autre les distinctions suivants :- Officier de la Légion d'Honneur ;
- La Croix de Guerre ;
- La médaille de la Résistance ;
- Combattant volontaire de la Résistance 39/45 ;
- Commandeur de la Couronne de Belgique avec Palme _ remis par le Prince Régent ;
- La médaille commémorative 39/45 avec éclair ;
- Titulaire du « Distinguished Service Order » (Grande–Bretagne) _ remis par le Roi Georges VI ;
- Médaille « Freedom » avec palme (USA).
Peu d'hommes ont rempli comme lui une tâche aussi extraordinaire, avec autant d'endurance et de désintéressement. C'était un homme modeste. Dans le rapport de mission qu'on lui demanda à Londres en janvier 1944, il écrivait en préambule : « Excusez-moi si je ne parle pas ou peu de moi-même, ce qui importe c'est le résultat, le reste ne compte pas ». Il comptait, pourtant, pour beaucoup l'effort de ses compagnons et leur fidélité. Il ouvrait son rapport par un hommage ému à ses camarades, à ses hommes disparus, disant d'eux : « Ils ont bien mérité de leur Patrie, de l'Humanité ».
Pour Léon, pour lui, pour tous les Français du Nord et d'ailleurs qui se sont engagés dans les réseaux belges de France, comme pour tous les Belges qui étaient leurs frères d'armes, il n'y avait qu'une double patrie ; personne ne dissociait, ni dans son action ni dans son esprit, la France et la Belgique. Jean était en cela un exemple. L'un de ses désirs fut de revoir à son chevet ses amis belges. La paralysie l'empêchait de s'exprimer longuement. L'une de ses premières pensées, à l'arrivée de ses camarades, fut le sort du Congo. Il souffrait, comme eux et avec eux, de cette catastrophe, oubliant son propre mal.
Sur le lit d'hôpital où il acheva sa vie le 3 Novembre 1960, dans la simplicité de ceux qui n'ont rien gagné à la guerre et qui sont revenus chez eux comme ils en étaient partis, il gardait, comme une braise ardente, son amitié.
Ses exploits ne l'avaient pas changé. Finie la guerre, finie l'aventure. Il conservait pourtant, le souvenir vivant de l'espérance qui l'avait porté si loin. « L'espérance force le destin ». Il avait écrit cette phrase, qui dépeint le résistant, lorsqu'à Londres, on lui demanda un spécimen de son écriture.