Divers / Documents / Jugement de Jean-Baptiste LEBAS, Raymond LEBAS, Laure DUBAR et Yves Jean Théodore HENNO par le tribunal allemand
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Tribunal Militaire du Reich
1ère Chambre
LISTE ROUGE
Le 14 Novembre 1942
SECRET
AU NOM DU PEUPLE ALLEMAND
JUGEMENT
Dans l'affaire pénale contre
1) Le Maire et ancien Ministre du Travail Jean-Baptiste LEBAS de Roubaix, né le 24/10/1878,
2) L'employé Raymond LEBAS de Roubaix, né le 2/12/1901,
3) La tricoteuse Laure DUBAR née HENNION de Roubaix, née le 23/7/1905,
4) Le boulanger Yves Jean Théodore HENNO de Roubaix, né le 6/8/1923
à cause de complicité avec l'ennemi, le Tribunal Militaire du Reich 1ère Chambre, dans sa séance du 15 Septembre 1942, à laquelle ont participé :
comme Juges :
Le Président du Tribunal Militaire, le Docteur SCHMITT
Le Lieutenant Général MUSSHOFF,
Le Colonel GALLE, Le Colonel ROHRS,
Le Conseiller du Tribunal Militaire PELTZER,
comme Procureur :
Le Conseiller du Tribunal Militaire ZIRNER,
comme Greffier :
Le Conseiller NUSKE,
a décidé :
1- Les accusés Jean-Baptiste LEBAS et Laure DUBAR sont condamnés à mort pour complicité avec l'ennemi.
2- L'accusé Raymond LEBAS est condamné à 6 - six - années de prison pour aide à l'ennemi.
3- L'accusé HENNO est condamné à 8 ans de prison pour complicité avec l'ennemi.
L'accusée Laure DUBAR est en plus condamnée à 8 mois de prison à cause d'un délit indiqué par le Commandant Militaire de Belgique et du Nord de la France du 30 Juillet 1940 en liaison avec l'article 4 de l'ordonnance de peines spéciales en temps de guerre.
L'emprisonnement contre l'accusée DUBAR est purgé par la détention préventive.
Pour chacun des accusés Raymond LEBAS et HENNO, est comptée sur leur peine de prison une année de prison préventive.
MOTIFS
1) L'accusé Jean-Baptiste LEBAS est né le 24 Octobre 1878 à Roubaix, comme fils des époux Hypolite et Félicité LEBAS née De Lattrée . Il fréquenta d'abord une école primaire à Roubaix et ensuite une école technique (du bâtiment) avec succès jusqu'à 15 ans. Il apprit ensuite le métier de commerçant. Après un apprentissage de 6 mois, il devint aide-comptable et plus tard comptable à la Recette Municipale de Roubaix . A 20 ans, il entrait comme comptable à l'association des artisans "La Paix". En 1906, à 28 ans, il devint secrétaire de la Fédération Socialiste du Nord, une antenne départementale du Parti Socialiste Français. Au cours de son activité dans le Parti des travailleurs, il devint en 1912 Maire de Roubaix. Quand Roubaix fut occupé par l'armée allemande en 1914, pendant la guerre mondiale, l'accusé resta à son poste jusqu'à ce qu'il vint en Allemagne en 1915 comme otage. En 1916, il fut échangé et alla à Paris.
A la fin de la guerre mondiale, il retourna à Roubaix comme Maire. En Novembre 1919, il fut Député du département du Nord du Parti Socialiste Français. De Juin 1936 à Juillet 1937, il fut Ministre du Travail dans le Cabinet Français et ensuite jusqu'à la fin 1937, Ministre des Postes. Au début de la deuxième guerre mondiale, il devint à nouveau Maire de Roubaix. Devant l'invasion des troupes allemandes, il s'enfuit en Bretagne mais revint à nouveau à Roubaix six semaines plus tard. Il n'assura pas son poste de Maire, car les autorités d'occupation l'en empêchèrent. Il vécut jusqu'en Septembre 1941 de son traitement de Député qui s'élevait à 6000 F par mois. Le 21 Mai 1941, il fut arrêté dans l'affaire actuelle.
Depuis 1901, l'accusé est marié avec Anne HENNION. De ce mariage, il eut deux enfants, un fils l'accusé Raymond LEBAS, et une fille, Marcelle, âgée actuellement de 37 ans.
L'accusé est citoyen français et n'a pas été condamné auparavant. Il est en bonne santé. Il n'y a pas de maladies nerveuses ou mentales dans sa famille dans la mesure où cela a pu être vérifié.
2) L'accusé Raymond LEBAS, fils de l'accusé n ° 1, est né à Roubaix le 2 Décembre 1901. Il a fréquenté l'Ecole primaire à Roubaix entre l'âge de 6 et 11 ans et puis il a fréquenté jusqu'à 18 ans le Lycée à Tourcoing. Pendant la guerre mondiale, de 1916 jusqu'à la fin de la guerre, il a habité chez son père à Paris et il y a fréquenté un Lycée. Après avoir quitté le Lycée, en 1919, avec le baccalauréat, il fréquenta une Ecole professionnelle à Roubaix, car il voulait devenir Technicien Chimiste en colorants. Il fut un élève moyen. Après avoir quitté l'Ecole Professionnelle, il fit son service militaire à Versailles et obtint le grade de sergent. Par la suite, il fut quelques mois sans travail, puis il eut une activité dans différentes teintureries. Cependant, pour des raisons de santé, il dut renoncer à sa profession. Il devint employé à la Préfecture du Nord à Lille et vint, en 1927, comme employé à la Mairie de Roubaix où il exerça une activité jusqu'à son emprisonnement, le 20 Mai 1941.
Au cours de cette guerre, il fut nommé à Versailles dans un comité d'étude de la poudre. De là, il fut envoyé à Brest, comme contrôleur de la poudre dans une usine de poudre. Il resta là bas jusqu'à l'arrivée des troupes allemandes en Juin 40. Ensuite, il retourna à Roubaix.
L'accusé est de nationalité française. Il est marié depuis Mars 1931 à Henriette CHEVALLIER . De ce mariage, est née une fille âgée actuellement de 10 ans.
L'accusé n'a pas été condamné auparavant. Il ne souffre ni de maladies nerveuses, ni de maladies mentales.
3) L'accusée Laure DUBAR, née HENNION, est née le 23 Juillet 1905 à Roubaix comme fille de Georges HENNION et de sa femme Joséphine, née DUOT . Elle a fréquenté l'école primaire jusqu'à 13 ans à St Etienne de Rouvrais (près de Rouen). Après avoir quitté l'école, elle travailla comme bobineuse dans des filatures de Rouen et de Roubaix jusqu'en 1924. Ensuite, elle se maria avec Joseph DUBAR. Le couple n'a pas eu d'enfant. Après son mariage, l'accusée installa avec son époux une entreprise dans laquelle elle vendait des bas qu'elle fabriquait elle-même. L'accusée interrompit cette activité en Mai 1940 pendant 4 semaines pour fuir à Boulogne devant la percée des troupes allemandes.
L'accusée n'a pas été condamnée auparavant. Elle est saine d'esprit. Les autres membres de sa famille sont exempts de maladies nerveuses et mentales, sauf une soeur qui est morte dans un hôpital psychiatrique.
L'accusée est de nationalité française. Elle fut capturée le 21 Mai 1941.
4) L'accusé Yves Jean Théodore HENNO est né le 6 Août 1923 à Roubaix comme fils unique du boulanger Marcel HENNO et de sa femme Jeanne, née VAN BRABANT. Il a fréquenté l'école primaire à Roubaix de 6 à 13 ans, et ensuite un institut pendant un an. Il fut un élève moyen. Après la période scolaire, il devint apprenti pâtissier dans une pâtisserie à Roubaix. Ensuite, il fut sans travail au cours de l'hiver 1939/1940. En Janvier 1940, il trouva à nouveau du travail dans une boulangerie. Devant l'avance des troupes allemandes, il s'enfuit pour atteindre le sud de la France. Mais comme la route lui fut coupée par l'armée allemande, il se dirigea vers Calais où il fut rejoint par les soldats allemands. Début Juin 40, il retourna à Roubaix. Son emploi était occupé par quelqu'un d'autre. Il resta sans travail et aida, à l'occasion, son père qui exerçait une activité comme ouvrier dans un hospice.
L'accusé est de nationalité française. Il est sain d'esprit. Dans la famille, on n'a relevé aucune maladie mentale ou nerveuse. Son père a eu, au cours de la dernière guerre mondiale, une blessure à la tête.
L'accusé n'a pas été condamné auparavant.
Il fut arrêté le 28 Janvier 1941.
II
Le soldat anglais Charles Frederic WRIGHT fut fait prisonnier par les allemands fin Mai 1940, près de St Valéry. Avec beaucoup d'autres prisonniers de guerre, il fut déplacé dans l'arrière pays où il réussit à s'enfuir le 28 Juin 1940, à proximité de Ninove. Il reçut des habits civils d'une habitante et séjourna par la suite avec quatre autres anglais dans une hutte forestière , à proximité de la localité de Cannu . Lui et ses camarades vivaient de vivres qu'ils recevaient des habitants des localités environnantes.
Le 1er Décembre 1940, arrivèrent dans la hutte forestière Edgar LEFEVER et Madame GUERIN, de nationalité belge. Ils invitèrent les anglais à venir à Bruxelles, d'où ils seraient emmenés en Angleterre par avion.
Les anglais donnèrent suite à cette demande et partirent en train en direction de Bruxelles, où WRIGHT et un autre anglais furent logés chez Mme GUERIN, mentionnée ci-dessus. Ils restèrent là jusqu'au 15 Décembre 1940, jour où LEFEVER et Mme GUERIN furent capturés et, eux-mêmes, ne purent échapper à une capture que grâce à une fuite rapide.
Par la suite, les deux anglais furent logés dans différentes habitations à Bruxelles, jusqu'à ce qu'on les informe, peu de temps avant le 9 Janvier 1941, qu'ils partiraient, le 9 Janvier 1941, â destination de l'Angleterre, en passant par Mouscron, Tourcoing, Roubaix, Paris, Bourges, Marseille, Gibraltar.
Le départ eut lieu seulement le 10 Janvier 1941, jour où WRIGHT et le soldat anglais DANDO furent emmenés â Tourcoing par un belge en passant par Mouscron. En passant, ils entrèrent dans la maison du fabricant René Charles LEFEBVRE et firent la connaissance de l'électricien Albert LEZAIRE, qui prit avec lui dans sa maison l'anglais WRIGHT et l'hébergea jusqu'au 14 Janvier 1941 (LEFEBVRE qui assurait le rapatriement des anglais et LEZAIRE ont été, entre temps, condamnés chacun deux fois à la peine de mort pour complicité avec l'ennemi et espionnage, par le jugement du tribunal militaire du 27 Mai 1942).
Dans la soirée du 14 Janvier 41, LEZAIRE amena WRIGHT à Roubaix, où il rencontra l'accusée Laure DUBAR dans la rue, qui emmena WRIGHT et le présenta à l'accusé Jean-Baptiste LEBAS.
LEZAIRE s'était mis en rapport auparavant avec l'accusée DUBAR et lui avait demandé si elle était prête à accueillir un anglais pour quelques jours.
L'accusée DUBAR, dont le mari était justement en voyage, avait refusé mais avait cherché l'accusé Jean-Baptiste LEBAS, son oncle, pour lui demander s'il voulait héberger l'anglais pour une courte période. L'accusé déclaré prêt.
L'accusée DUBAR avait alors communiqué cette décision à LEZAIRE et avait convenu avec lui d'une rencontre à Roubaix pour la prise en charge des anglais.
Jusqu'au 25 Janvier 1941, WRIGHT resta dans la maison de l'accusé Jean-Baptiste LEBAS qui comprenait seulement trois pièces et qui était habitée par l'accusé, sa femme et sa fille. WRIGHT n'avait pas quitté la maison pendant toute cette période pour ne pas être découvert.
WRIGHT, qui pouvait se faire comprendre passablement en langue française, s'était entretenu plusieurs fois avec l'accusé Jean Baptiste LEBAS. A cette occasion, l'accusé lui avait raconté qu'il avait été, avant la guerre, Maire de Roubaix et qu'il avait occupé le poste de Ministre Français du Travail. Il avait raconté aussi qu'il avait déjà hébergé dans sa maison beaucoup de soldats anglais qui, entre temps, étaient retournés en Angleterre. Au cours de ces entretiens, WRIGNT avait dit de son côté qu'il voulait retourner dans l'armée anglaise.
Dans la maison de l'accusé Jean Baptiste LEBAS, WRIGHT avait fait la connaissance du fils de celui-ci, l'accusé Raymond LEBAS. Ce dernier avait sa propre habitation, mais avait coutume de rendre visite à son père presque journellement. Au cours d'une de ces visites, il fit la connaissance de WRIGHT, avec lequel il s'entretint par la suite plus souvent. WRIGHT lui raconta qu'il était un soldat anglais et qu'il voulait essayer d'atteindre la France Libre et de là Gibraltar. L'accusé Raymond LEBAS lui dit que cela serait difficile. Raymond LEBAS remit à WRIGHT, au cours de l'une de ses visites, une fausse carte d'identité au nom de Charles DUROC et Pourvue d'une photo de WRIGHT, qu'il avait reçue de Laure DUBAR pour la remettre à WRIGHT.
L'accusée Laure DUBAR avait déjà raconté à WRIGHT, le 14 Janvier 1941, quand elle amena WRIGHT dans la maison de LEBAS, que son mari Joseph DUBAR s'occupait du rapatriement. Mais Joseph DUBAR se trouvait à cette époque en voyage à Marseille où il accompagnait un Capitaine anglais qui avait sur lui des documents importants.
Elle attendit 8 jours le retour de son mari. Joseph DUBAR revint à la date fixée, apprit de l'accusée Laure DUBAR qu'elle avait hébergé l'anglais WRIGHT chez LEBAS, et le rencontra là bas. Il lui raconta qu'il avait été à Marseille et parla avec lui de la fuite ultérieure de WRIGHT. Joseph DUBAR remit à sa femme une carte d'identité établie au nom de Charles DUROC et pourvue d'une photo de WRIGHT et lui donna mission de s'occuper des empreintes digitales de WRIGHT pour la carte d'identité. L'accusée Laure DUBAR alla avec la carte d'identité et un tampon encreur chez WRIGHT dans la maison de son oncle et lui demanda d'appliquer ses empreintes digitales sur la carte d'identité.
Laure DUBAR reporta la carte d'identité à son mari qui, quelques temps après la lui rendit avec la mission de la remettre à WRIGHT. Comme l'accusée Laure DUBAR avait encore quelques courses à faire, elle remit la carte à l'accusé Raymond LEBAS à son bureau et le pria d'emporter la carte pour WRIGHT quand il rendrait visite à son père, c'est ce que fit Raymond LEBAS.
Le 25 Janvier 1941, vers 6 heures du matin, Joseph DUBAR alla chercher WRIGHT à la maison de LEBAS, lui donna, contre quittance, 1000 francs, et l'emmena à la gare de Roubaix où il était attendu par l'accusé HENNO et le soldat anglais DANDO.
L'accusé HENNO avait fait la connaissance auparavant des époux DUBAR. Comme depuis un certain temps déjà, il ne pouvait trouver du travail, il s'était décidé à aller en France Libre parce qu'il pensait y trouver du travail. Comme son père n'approuvait pas sa décision, il se décida à franchir secrètement la ligne de démarcation et demanda à des amis le moyen de pouvoir exécuter son intention.
Début Janvier 1941, il reçut de Joseph DUBAR l'information que celui-ci pouvait l'aider mais qu'il devait patienter encore environ trois semaines.
Après le déroulement de ces trois semaines, quelques jours avant le 25 Janvier 1941, l'accusé Laure DUBAR amena HENNO à son mari dans son habitation. Celui-ci informa HENNO qu'il pouvait franchir maintenant la ligne de démarcation mais qu'il devait emmener deux anglais qui voulaient également franchir secrètement la ligne de démarcation.
L'accusé HENNO se déclara d'accord avec cette proposition. Il reçut de Joseph DUBAR les indications les plus précises pour le voyage, les adresses des personnes qui devaient le contacter au cours du voyage, les mots de passe avec lesquels il devait s'introduire chez eux pour recevoir assistance et papiers, etc ... Joseph DUBAR donna aussi à HENNO un dessin de l'endroit où il devrait franchir secrètement la Somme.
Le voyage de HENNO et des deux soldats anglais eut lieu de la manière prévue p ar Joseph DUBAR. Ils prirent d'abord le chemin de fer jusqu'à une localité à proximité de Fontaine. Là, ils furent accueillis dans une ferme après que HENNO eut justifié par un manier de son identité et accompagnés de deux hommes, ils franchirent de nuit la Somme dans une barque. Sur l'autre rive de la Somme, ils passèrent la nuit dans une ferme et partirent le lendemain en chemin de fer de Fontaine à Paris. Là, HENNO, avec les deux anglais, alla chez son oncle René HENNO, où ils reçurent gratuitement la nourriture et l'hébergement.
Le 27 Janvier 1941, HENNO et les deux anglais prirent le train à destination de Bourges où ils se rendirent à pied à Morthomier qui se trouvait à proximité de la ligne de démarcation. Là, HENNO chercha un ami que Joseph DUBAR lui avait indiqué, lui donna le mot de passe et fut amené avec les deux anglais dans la maison d'un autre habitant du village. Ils étaient en tout 9 personnes, entre autres deux jeunes gens de Tourcoing et deux de Calais. Vers 21 heures, ces personnes furent capturées.
Sur la base des indications de WRIGHT, DANDO et HENNO, les autres accusés furent capturés.
Dans l'habitation de l'accusée Laure DUBAR, dont le mari était fugitif, on découvrit des journaux provocateurs contre l'Allemagne "L' Homme Libre".
III
Ce déroulement des faits repose sur les indications, en partie vraisemblables et en partie non réfutées des accusés, ainsi que sur le résultat de la procédure d'instruction, conformément à l'article 60 du Code militaire pénal et, en particulier, sur les déclarations des anglais WRIGHT et DANDO .
La Chambre n'a pas hésité à suivre ces déclarations parce que WRIGHT et DANDO, non seulement sitôt leur capture ont donné une version plausible et complète des faits, mais parce que WRIGHT a renouvelé, au cours d'auditions ultérieures, ses déclarations sans écart essentiel.
Du reste, les déclarations sont plausibles et se sont révélées vraies dans les points essentiels. Il n'y a aucune raison de penser que WRIGHT et DANDO ont donné des explications inexactes.
C'est pourquoi, la Chambre n'a pas hésité à suivre plutôt les déclarations de WRIGHT et de DANDO quand elles s'écartaient des indications des accusés.
Les accusés ont avoué, dans l'essentiel, le déroulement des évènements. Chacun a expliqué ce qui suit :
1) Jean-Baptiste LEBAS : Il a accueilli WRIGHT uniquement par compassion. Laure DUBAR lui avait dit que WRIGHT était très malheureux et qu'il cherchait un logement pour quelques jours, jusqu'à ce qu'il puisse poursuivre son chemin.
WRIGHT avait été le premier anglais qu'il avait accueilli dans sa maison après l'arrivée des troupes allemandes à Roubaix.
Assurément, avant l'occupation allemande, des militaires des troupes anglaises séjournant à Roubaix, avaient été reçus dans sa maison. Il avait raconté cela â WRIGHT, avec lequel il ne pouvait que difficilement se faire comprendre. WRIGHT avait mal compris et déduit de ces paroles qu'il avait déjà aidé d'autres anglais à fuir.
Il n'avait pas dit cela et il n'avait pas fait cela.
Il avait deviné qu'il s'agissait chez WRIGHT d'un soldat anglais fugitif. C'est pourquoi, il avait bien voulu l'accueillir seulement pour une courte période. Il n'avait pas réfléchi aux intentions ultérieures de l'anglais et n'avait pas réalisé qu'il voulait rejoindre son armée en Angleterre.
Assurément, il avait su qu'il voulait se rendre secrètement en France Libre mais il n'avait pas appris que son fils avait remis à WRIGHT une fausse carte d'identité.
Il n'était vas présent lors du départ de WRIGHT. C'est seulement dans la journée du 25 Janvier 1941 qu'il avait appris de sa femme que Joseph DUBAR était allé chercher WRIGHT très tôt dans la matinée.
Il ne savait rien des activités de Joseph DUBAR dans le rapatriement des soldats anglais.
2) Raymond LEBAS : Il avait rendu presque chaque soir visite à son père, car son habitation était toute proche et, à cette occasion, en Janvier 1941, avait fait la connaissance de WRIGHT qui lui avait été présenté comme "Charlie".
Il s'était entretenu plus souvent avec WRIGHT et avait appris qu'il était un soldat anglais et qu'il était venu de Belgique où la population lui avait apporté l'hébergement et la nourriture.
WRIGHT ne lui avait pas parlé de ses plans, mais lui, l'accusé, avait supposé que WRIGHT voulait aller en France Libre, et de là, rejoindre l'Angleterre.
Il ne savait pas que son père avait déjà accordé l'hébergement à des anglais.
Auparavant, il n'avait pas eu connaissance du voyage projeté par WRIGHT, car la veille au soir, il avait reçu, ou bien de Joseph DUBAR ou bien de Laure DUBAR, une carte d'identité établie au nom de DUROC pour la remettre à WRIGHT. Il avait remis la carte à WRIGHT pour l'avoir reçue de Joseph ou de Laure DUBAR sans trop y réfléchir. Il n'avait pas participé à la fabrication de la carte. Il avait d'abord présumé que Joseph DUBAR avait amené WRIGHT dans la maison
de son père avant d'apprendre que c'était Laure DUBAR qui avait été la cause de son hébergement. Car, d'après ce que disait sa famille, Joseph DUBAR ne travaillait plus depuis la fin de la guerre, mais avait fait constamment des voyages entre la France occupée et la France libre et avait conduit et accompagné des jeunes gens qui voulaient franchir illégalement la ligne de démarcation. Il ne savait mas si parmi ces jeunes gens, s'étaient trouvés des soldats anglais. Mais Joseph DUBAR lui avait raconté un jour qu'il avait un mandant pour l'hébergement des soldats anglais.
3) Laure DUBAR : Elle ignorait que son mari avait aidé des soldats anglais fugitifs à franchir la ligne de démarcation. En effet, il avait entrepris des voyages qui s'étaient limités au secteur de la France occupée et elle croyait que c'étaient des voyages d'affaires pour la vente des bas qu'elle fabriquait dans son entreprise.
Elle n'avait rien raconté à WRIGHT d'un voyage de son mari à Marseille. Elle avait amené WRIGHT à LEBAS uniquement pour faire plaisir à LEZAIRE qui était son client. LEZAIRE ne lui avait pas dit que WRIGHT était un soldat anglais, mais elle avait supposé que WRIGHT voulait aller en France Libre pour, de là, rejoindre son armée en Angleterre.
Elle avait procédé à l'application des empreintes digitales sur la carte d'identité et à sa remise à WRIGHT à la demande de son mari.
Elle savait que par cette double action, elle facilitait le voyage ultérieur de l'anglais. Aussi, quand elle amena HENNO à son mari, elle savait qu'il voulait partir avec les anglais au-delà de la ligne de démarcation pour les aider.
Elle avait trouvé les journaux provocateurs "L' Homme Libre" dans son vestibule près de la porte d'entrée. Elle ne savait pas qui les avait amenés. Elle n'avait pas lu les journaux. Elle les avait mis dans une armoire et ensuite dans un tiroir pour les conserver.
4) Yves HENNO : Joseph DUBAR ne lui avait pas dit que les deux anglais qu'il devait accompagner étaient des soldats anglais fugitifs qui voulaient rejoindre leurs troupes, mais il avait pensé que ces anglais voulaient échapper à la captivité allemande.
Il n'avait pas pensé à la possibilité que ces anglais pourraient rejoindre leurs troupes en Angleterre en passant par la France Libre.
Il avait conscience qu'il commettait une action répréhensible en franchissant secrètement la Somme et la ligne de démarcation.
S'il s'était décidé à le faire malgré tout, c'est parce qu'il voulait atteindre son propre but d'aller lui-même en zone libre.
IV
D'après le déroulement des faits établis au II), les accusés se sont rendus coupables de complicité avec l'ennemi, conformément aux articles 91 et 161 du code pénal. Ils ont aidé le soldat anglais WRIGHT, qui s'était évadé d'un camp allemand de prisonniers et qui s'efforçait de rejoindre l'armée anglaise en Angleterre par la France Libre, à atteindre son but.
Jean Baptiste LEBAS lui a accordé l'hébergement pendant un certain temps. Raymond LEBAS lui a remis une fausse carte d'identité. Laure DUBAR lui a procuré le logement chez LEBAS, a contribué à la réalisation de la fausse carte d'identité, lui a remis la fausse carte d'identité et a, en outre, participé aux préparatifs du guide HENNO au-delà de la ligne de démarcation. HENNO a conduit jusqu'à la ligne de démarcation WRIGHT et, en Plus, le soldat anglais DANDO, qui s'était enfui d'un camp de prisonniers et qui avait le même but que WRIGHT.
Il est évident que ces activités signifiaient une aide l'ennemi, à savoir l'Angleterre.
Il n'y a aucun doute que les accusés savaient que WRIGHT et DANDO étaient sur le chemin de l'Angleterre.
Les accusés Raymond LEBAS, Laure DUBAR et HENNO ont avoué qu'ils avaient supposé cette intention des anglais.
L'accusé Jean-Baptiste LEBAS prétend purement et simplement avoir supposé que WRIGHT voulait passer en France libre et n'avoir aucune idée sur les plans ultérieurs de WRIGHT. Mais pour cet accusé, la Chambre n'a pas hésité ê constater, qu'il ait su, ou du moins qu'il ait compté, sur la possibilité que WRIGHT s'efforce de rejoindre son armée. Ceci ressort clairement de la déclaration de WRIGHT d'après laquelle il avait raconté à l'accusé Jean-Baptiste LEBAS, qu'il voulait rejoindre son armée en Angleterre, et de l'expression de l'accusé, disant qu'il avait hébergé déjà beaucoup de soldats retournés entre-temps en Angleterre.
Même si l'accusé n'avait pas bien compris le récit de WRIGHT, à cause de sa connaissance de la langue française jugée insuffisante par LEBAS et même si sa propre expression se rapportait à la période avant l'occupation allemande, compte tenu de toutes ces circonstances, le véritable but de WRIGHT devait apparaître clairement à un homme aussi intelligent que l'accusé LEBAS.
Abstraction faite de cela, il apparaît aussi exclu que l'accusé Raymond LEBAS connaissait le but final de WRIGHT, et que le père LEBAS n'en ait rien su, malgré les visites presque journalières du fils à son père.
Il n'est pas nécessaire de développer le fait que les accusés étaient conscients que, par leurs activités pour WRIGHT et DANDO, ils aidaient la puissance ennemie, à savoir l'Angleterre. Comme cette activité a eu lieu pendant une guerre contre le Reich, il faut appliquer l'article 91 du Code Pénal Militaire.
Pour les accusés Jean-Baptiste LEBAS et HENNO, eu égard à la nature et à l'importance de leur activité, il n'existe aucun doute qu'ils ont bien voulu personnellement cette action. Mais cela vaut, en particulier, aussi pour l'accusée Laure DUBAR. Elle a pris une part si essentielle à l'hébergement de WRIGHT, à la réalisation de la carte d'identité et à la venue de HENNO, qu'elle ne peut pas être considérée ,du moins pour l'hébergement de WRIGHT,comme un complice de son mari, qui, en ce temps là, n'était pas souvent à Roubaix. Joseph DUBAR a beau être le véritable chef de l'affaire, Laure DUBAR fut tellement impliquée dans celle-ci, qu'elle était en mesure d'agir personnellement dans cette affaire. C'est pourquoi, elle a préparé personnellement les voies à l'hébergement de WRIGHT, quand LEZAIRE s'adresse à elle. C'est pourquoi, elle ne doit pas être considérée comme complice, mais comme coupable.
En ce qui concerne l'accusé Raymond LEBAS, son activité s'est limitée au fait de remettre à WRIGHT la carte d'identité qui lui avait été remise par Laure et Joseph DUBAR. Sa déclaration d'avoir fait cela pour l'avoir reçue de Laure et de Joseph DUBAR, et de n'avoir pas songé aux conséquences de son acte, ne peut pas être réfutée avec une certitude suffisante. A sa faveur, il faut supposer qu'il voulait purement et simplement faciliter l'action de Laure et de Joseph DUBAR. C'est pourquoi, il ne peut être condamné que comme complice.
Dans la mesure où l'accusée Laure DUBAR n'a pas remis sans retard à la Kommandatur allemande la plus proche les journaux provocateurs "L' Homme Libre", qu'elle avait trouvés dans son habitation, elle s'est rendue coupable d'une infraction, en vertu de l'article 4 du Code Pénal Militaire , en liaison avec la proclamation du Commandant militaire de Belgique et du Nord de la France du 30 Juillet 1940.
La chambre n'a accordé aucune créance à l'affirmation de l'accusée de n'avoir pas lu les journaux et de ne pas savoir que son contenu était hostile aux allemands.
V
Concernant la peine, il fallait d'abord examiner, si les instructions du paragraphe 2 de l'article 91b du code pénal militaire sont à appliquer.
Comme WRIGHT et DANDO pouvaient être capturés avant le franchissement de la ligne de démarcation, il n'y a pas eu d'inconvénient pour le Reich, ni d'avantage pour la puissance ennemie. Mais il fallait examiner, si cela pouvait amener des conséquences plus lourdes en tant qu'un "inconvénient insignifiant" pour le Reich et plus qu'un "avantage insignifiant" pour la puissance ennemie.
La Chambre a répondu affirmativement à cette question ; car si le retour projeté de WRIGHT et DANDO vers l'armée anglaise avait réussi, il en serait résulté plus qu'un inconvénient insignifiant pour le Reich et plus qu'un avantage insignifiant pour la puissance ennemie.
A cela, la Chambre en déduit l'opinion, que déjà le retour d'un soldat isolé vers la puissance ennemie ne peut pas être considéré comme un inconvénient ou un avantage insignifiant. Justement, au cours de cette guerre, on a observé dans d'innombrables cas, qu'un soldat isolé peut obtenir des résultats décisifs, même s'il est un simple soldat sans formation spéciale, et sans qualités particulières.
On constate seulement, dans de rares cas exceptionnels, qu'un soldat anglais précis a ou n'aura aucune influence sur la conduite ennemie de la guerre.
Le cas de WRIGHT et de DANDO n'est visiblement pas à classer dans ces cas exceptionnels. Ils pourraient, au contraire, être très utiles à la puissance ennemie, puisqu'ils ont séjourné des mois en Belgique et dans le Nord de la France et qu'ils ont eu l'occasion de faire des observations, qui peuvent être importantes pour l'Angleterre.
On ne peut pas en conclure que l'action des accusés ne pouvait pas avoir des conséquences "graves" dans le sens de l'article 91b, paragraphe 2, du code pénal militaire. De ce fait, l'application de ce texte s'impose.
Concernant l'importance de la peine, il faut considérer que les délits des accusés ont été commis dans le cadre d'une organisation, qui a eu pour tâche de travailler contre l'Allemagne en particulier de faire passer des soldats anglais fugitifs vers la France non occupée, afin que de là, ils partent vers l'Angleterre.
L'existence de cette organisation a déjà été constatée dans le jugement du tribunal militaire du 27 Mai 1942, dans l'affaire LEPLAT (jugement n ° 1353/41) dans laquelle les dénommés LEFEBVRE et LEZAIRE, mentionnés plus haut, ont été condamnés à mort pour complicité avec l'ennemi.
Dans ce jugement, on n'a pas pu établir l'étendue et l'organigramme de cette organisation. Cela n'est pas possible non plus dans l'affaire actuelle.
Il ne fait aucun doute que le fugitif Joseph DUBAR a joué un rôle tout particulier dans le rapatriement des anglais en préparant le transport, en fabriquant des cartes d'identité, en recrutant des guides et en agissant personnellement d'une manière importante.
Que l'accusée Laure DUBAR était très informée de cette activité de son mari ne fait aucun doute pour la Chambre. Sa propre activité s'exerçait en partie dans le même domaine.
On n'a pu établir avec une certitude suffisante que les autres accusés avaient su qu'ils étaient amenés à agir dans le cadre d'une organisation. Car il ne semble pas exclu que "l'organisation" utilise ses complices, cas par cas, sans qu'ils aient une connaissance les uns des autres et sans qu'ils connaissent l'organisation.
Pour l'importance de la peine, il fallait prendre en considération ce qui suit : les nécessités de la guerre exigent une sévère application des lois militaires. L'armée allemande, qui se trouve stationnée le long de la Manche pour surveiller l'Angleterre et qui, chaque instant, peut être contrainte à repousser une nouvelle tentative d'invasion par l'ennemi, il est inadmissible que des civils français tentent de poursuivre derrière le dos de l'armée allemande la guerre qui est perdue pour leur pays et rendent des services à l'ennemi de l'Allemagne.
Toute action de ce genre doit être sévèrement réprimée, pour décourager toute autre tentative de ce genre. La sécurité des troupes d'occupation exige la sévérité la plus extrême.
De ce fait, contre les accusés Jean-Baptiste LEBAS et Laure DUBAR, la peine de mort apparaît nécessaire.
Par ailleurs, pour Jean-Baptiste LEBAS, en dehors des considérations exposées plus haut, il faut encore considérer que son action doit être tenue pour particulièrement dangereuse, eu égard à sa personnalité, à son rang, à ses places antérieures comme Maire et Ministre, et à son influence due, de ce fait, à la qualité de sa personne.
De même, contre l'accusé HENNO, vu l'étendue et la nature de son activité, la peine de mort serait exigible. Cependant, HENNO n'avait, à l'époque des faits, que 17 ans, de sorte qu'il faut appliquer le code pénal pour les jeunes.
Il ne fait aucun doute qu'à l'époque de l'action, HENNO était capable, d'après son développement intellectuel et moral, de saisir le caractère illégal de son action et de déterminer sa volonté en fonction de cette appréciation. La Chambre, eu égard à la longueur du temps écoulé depuis, qui peut occasionner à l'âge de HENNO des changements importants, n'a pas cru pouvoir établir avec une certitude suffisante qu'à l'époque de l'action on aurait pu l'assimiler, d'après son développement intellectuel et moral, â une personne de plus de 18 ans (voir article 1 paragraphe 2 du code pour la protection contre les crimes importants des jeunes en date du 4.10.1939).
De ce fait, la peine de HENNO découle du code pénal des jeunes. La peine de 8 ans de prison semble correspondre au délit.
Pour l'accusé Raymond LEBAS, qui doit être sanctionné pour complicité, une peine de 6 ans de réclusion semble suffisante mais nécessaire.
L'accusée Laure DUBAR doit subir une peine de prison de 8 mois, par suite de l'infraction contre le paragraphe 4 du code pénal militaire, en liaison avec la proclamation du commandant militaire en Belgique et dans le Nord de la France du 30.7.1940.
Cette peine de prison, ainsi qu'une année de prison pour chacun des accusés Raymond LEBAS et HENNO, a été déclarée purgée par la détention préventive.
Signé SCHMITT MUSSHOFF ROHRS PELTZER
en même temps pour
le Colonel GALLE, transféré