Divers / Articles de journaux / Raymonde Marc, elle a survécu à l'enfer des camps - Journal Nord-Eclair du 7 Février 2005
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Toufflers
Elle a survécu à l'enfer des camps
A l'heure où le monde célèbre le 60 ème anniversaire de la libération des camps, une rescapée se souvient. A l'âge de 20 ans, Raymonde Marc, alors résistante, est arrêtée par la Gestapo. Le début d'une descente aux enfers à jamais gravée dans sa mémoire.
A 81 ans, Raymonde a toujours toute sa tête, une mémoire infaillible et des souvenirs intacts. Des souvenirs pourtant difficiles, inhumains revenus au fil des temps à la surface. Longtemps pourtant elle aura dû les enfouir dans un coin de sa mémoire parce que « c'était trop horrible ce qu'on racontait. On nous traitait de menteurs après la guerre alors on a appris à se taire ».
Raymonde avait 20 ans quand elle a connu l'horreur des camps. Son père, résistant aux côtés de Jean-Baptiste Lebas est arrêté par la Gestapo le 11 décembre 1941. Un jour gravé à jamais dans la mémoire de Raymonde. Le jour où elle entre de plein pied dans la résistance. « J'avais entendu la Gestapo arriver. J'ai pris la mallette que mon père gardait toujours précieusement auprès de lui et je me suis enfuie chez les voisins pour la cacher. Je me doutais que mon père faisait des choses dangereuses mais il ne me l'avait jamais dit ».
Raymonde ne reverra jamais son père déporté à Gros Rosen où il mourra de faim. Comme une évidence, Raymonde entre en résistance.
Elle est approchée pour la fameuse mallette. « Elle renfermait des renseignements vitaux sur le réseau de résistance Ali France ». Raymonde devient alors Carmen, son nom de code.
« Un engagement qui n'avait rien de politique ou de religieux. C'était un engagement pour la nation, pour une France libre »: Un engagement qu'elle paiera lourdement.
Dénoncée…
Le 29 avril 1943, Raymonde, alias Carmen, est arrêtée par la Gestapo après une dénonciation.
« C'est un jeune homme de mon âge qui m'a dénoncée. Je ne pouvais pas lui en vouloir, il a parlé sous la torture. On lui avait arraché les ongles. Il est mort en cellule ».
Durant 11 jours Raymonde est torturée à son tour, dans les caves de la Gestapo à Bruxelles. Elle se souvient qu'un de ses bourreaux la frappait avec une chevalière en lui disant dans un français parfait, « c'est dommage, tu me fais penser à ma fille ».
Raymonde résiste et ne parlera jamais.
Ce n'est pourtant que le début de l'enfer pour Raymonde qui se retrouve 8 mois en prison à Saint-Gilles. Le sort s'acharne encore lorsque le 6 juin 1944, alors que les troupes alliées débarquent en Normandie, Raymonde elle, est embarquée dans l'un des trains de la mort... direction le camp de Ravensbrück.
« Pas crever ici »
Entassés comme des bêtes, sans boire ni manger durant 3 jours et 2 nuits, « on ne savait pas ce qui nous attendait », raconte Raymonde qui sympathise alors avec deux autres déportées, Fanny et Maria, deux polonaises juives résistantes.
« A peine arrivées, on nous a coupé les cheveux et puis triées. Les plus jeunes et alertes étaient envoyées aux douches puis au travail. Les autres étaient gazées ! » précise-t-elle.
Sa survie Raymonde la doit à sa rage, « Chaque jour je me répétais, "je veux pas crever ici" ». Elle a aussi beaucoup prié. La solidarité entre les déportées a fait le reste. Des gestes que Raymonde n'oubliera jamais comme le jour où Fanny a trouvé un bout de peigne et l'a ramené à Maria. « Ce jour-là on a beaucoup ri, on n'avait pas beaucoup de cheveux ». Un souvenir indélébile tout comme le souvenir, sinistre celui-là, de l'odeur de la fumée qui s'échappait des fours crématoires...
Fin avril 1945, les Allemands désertent le camp en utilisant les prisonniers comme boucliers. Une marche vers la mort à laquelle Raymonde, Maria et Fanny échappent presque par miracle. Puis c'est le retour en Belgique et en France le 3 juin 1945. Un retour éprouvant. Pas facile pour Raymonde de réapprendre à vivre. « J'étais une vraie sauvage », reconnaît-elle. Fanny et Maria, elles, sont parties en Israël. Raymonde ne les aura jamais revues. Bien portante et jamais malade durant sa jeunesse (c'est ce qui l'aura sauvé des camps), Raymonde porte aujourd'hui les stigmates de sa déportation. Elle n'a pas pu avoir d'enfants et ses jambes ont bien du mal à la porter.
Cependant, les années passant, les images d'horreur se sont brouillées mais ne disparaîtront jamais complètement. Et puis Raymonde ne veut pas oublier. Pardonner ? Si aujourd'hui Raymonde peut commencer à y penser, jamais elle n'a pu retourner sur le sol allemand. Et jamais elle n'y retournera. Elle a cependant regardé les reportages à la télé ces derniers jours, elle a pleuré quand elle a vu Simone Weil pleurer...
Delphine Pommier
Journal Nord-Eclair du 7 Février 2005